Kiosque à Journaux : une mise au vert
CULTURE
Romain Costa
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Romain Costa
La réputation romantique de la ville de Paris n’est plus à démontrer. A travers l’image lyrique et champêtre des kiosques à journaux, c’est tout un imaginaire qui l’accompagne. Aujourd’hui en voie d’extinction, retour sur leur évincement.
Depuis quelques temps, ils n’ont plus la côte, nos bons vieux kiosques. Vous savez, ceux qui ont toujours été là. Ceux que vous ne voyez certainement plus ? mais qui pourtant participent grandement à la beauté, parfois bricolée, de la ville et de nos rues pavées.
Et bien, il parait qu’on voudrait les changer, ces petites « maisons à papiers ». On tenterait même de leur faire prendre une retraite anticipée, de les mettre au placard, de les remplacer par des petits jeunes, des « boîtes effet plastifié » qui augmenteront probablement le rendement. Car ils ont atteint l’obsolescence, nos kiosques. Ils ne tiennent plus la route et visiblement sont beaucoup trop démodés.
Pourtant, leur architecture mythique et singulière nous tient à cœur, à nous, amoureux de Paris. Crées en 1857 par Gabriel Davioud, les kiosques sont arrivés sur nos trottoirs afin de rendre la presse accessible au plus grand nombre. Aujourd’hui, ils font partie intégrante d’un tableau romantique du Paris post-révolution industrielle, à l’instar des bouches de métro de Guimard, des fontaines Wallace, des lampadaires Hittorf ou encore des colonnes Morris.
Pourtant, les élus ne sont pas de notre avis et d’ici juin 2019, trois-cent- soixante kiosques auront été remplacés par de nouveaux baraquements flambants neufs. Quarante-neuf seront, quant à eux, rénovés. La difficile tâche d’imaginer les futurs « commerces à gros titres » a été attribuée à Matali Crasset qui s’est inspiré des ateliers et des toits parisiens pour dessiner de nouveaux commerces innovants et high-tech. Écrans tactiles, vitrines réfrigérées, éclairages verts ou rouges en fonction de l’ouverture ou non du lieu, des écrans interactifs accessibles 24h/24 : c’est une grande accession sociale pour nos petits kiosques qui, après ça, seront tous uniformisés.
Social ? Pas tant que ça finalement… Car au-delà de perdre un élément fort de nos trottoirs, c’est peut-être aussi un lien social que nous perdons. Puisque le lieu crée le lien, la perte de caractère d’un lieu peut-elle entraîner la perte de liens ? Il ne s’agit pas ici de critiquer ces nouvelles architectures que certains appellent déjà « les photocopieuses » ou « les poubelles géantes », mais bien de montrer que la perte d’un élément symbolique parisien peut entrainer une perte d’identité pour ces habitants.
Alors il est vrai, Madame le Maire s’en défend : les kiosques haussmanniens que nous défendons bec et ongles auraient disparu depuis longtemps et auraient déjà été remplacés, il y a de nombreuses années, par des usurpateurs, qui finalement participent depuis au bricolage urbain.
Aujourd’hui, la question ne se pose plus, le « vieux » kiosque dérange. Il dénote, est disgracieux, dérègle. Les pouvoirs publics ont décidé de le figer dans un confort plus esthétique, vers une transformation irréversible répondant à la règle : à bas le disgracieux, le précaire et l’insalubre, bonjour l’innovation, le pratique, le confortable ! Tant pis si la mort du caractère, la perte de l’historicité, du patrimoine sont des dommages collatéraux…
De cette notion de patrimoine s’ensuit une notion de respect pour cet héritage qui n’a jamais nécessairement inclus une ligne d’action ou de pensée. Le patrimoine doit être sauvegardé, certes, mais ne doit pas obligatoirement être perpétué. Chacun fait alors sa propre interprétation du patrimoine reçu, dans le respect de ce qui lui a été transmis.
C’est pourquoi, alors que les élus ont décidé que les kiosques n’étaient pas un patrimoine parisien à sauvegarder, plus de 45 000 citoyens ont signé, durant l’été 2016, une pétition pour défendre ce qui leur paraissait essentiel : l’identité des rues parisiennes.
Car les kiosques ne sont pas uniquement des « boîtes à distribuer de la presse ». Ce sont des boîtes habitées, parfois par des gens qui vivent là depuis un petit bout de temps. Ce sont des « petites maisons » qui se posent sur nos trottoirs et créent l’évènement sur un parcours souvent pressé. Ils sont accompagnés d’un imaginaire, d’un jeu d’acteurs qui s’opère entre clients, kiosquiers, passants. C’est un lieu d’intimité publique, une architecture lyrique qui relève presque du champêtre. Enfin jusqu’à aujourd’hui… Car cette connotation romantique, ils risquent bien de la perdre avec ce lifting que l’on espère tous réussi. Allons vite, consommons vite, consommons utile, surtout, ne perdons pas de temps ! Logique qu’avec ces nouveaux crédos, nos kiosques ne tiennent pas la route car ils ne sont plus rentables, nos kiosques… Du coup on les change, on les uniformise, on leur donne un petit coup de jeune. Pourtant, c’est dans le contraste que se crée la ville et c’est ce qui est intéressant à Paris, le contraste. C’est une ville musée certes, mais c’est parce que certains éléments composant l’urbanité sont banals et modestes, qu’ils mettent en exergue ce qui relève du majestueux, du sacré, du magnifique. Comme le disait Héraclite, « ce qui oppose et aussi ce qui compose et de l’union des contraires résulte la plus belle harmonie ». Il n’avait certainement pas tort cet Héraclite : c’est dans ce bricolage urbain, ce patchwork entre l’ancien, le contemporain et le banal que nous aimons Paris. Certes le kiosque, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est pas l’antidote pour faire vivre l’espace public, mais la volonté de son esthétisation révèle des éléments symptomatiques d’un Paris qui veut s’uniformiser, perdant progressivement toute notion de caractère.
Pour comprendre en quoi cette architecture urbaine a un rôle à jouer dans l’espace public et dans son appropriation, il faut savoir que le terme « espace public » est relativement nouveau et survient avec l’arrivée de l’urbanisme moderne et l’urbanité. Mais ce qu’il représente a toujours existé, et ce depuis que les hommes se regroupent. Cependant il n’a jamais été autant questionné et présente un enjeu primordial dans le développement des villes.
On peut considérer que l’espace public est l’espace non bâti qui est affecté aux usages de tous. L’espace public, qui est donc entouré de propriétés publiques ou privées et d’une affectation d’usage, devient alors un lieu d’anonymat informel. Le kiosque à journaux vient se poser là, sur cet espace public, permettant de ce fait de lever une part d’anonymat en donnant une place à chacun des acteurs qui en fera un usage.
De cette uniformisation résulte une perte du sentiment d’appartenance : le parisien ira même à se demander si la ville, dont il est si fier n’est pas vouée à devenir une capitale lissée, sans âme, banalisée. Comme on le retrouve dans les manifestes de l’architecture de la Renaissance, c’est l’assemblage d’éléments qui crée le tout. Ce sont les kiosques, les colonnes, les entrées de métro, qui donnent à Paris cette atmosphère de décor XIXe siècle. C’est cette architecture de « l’opportunisme heureux » qui donne à nos journées une saveur différente, un goût parisien !
Aujourd’hui, dans une société où tout nous pousse à une esthétisation permanente de nos vies, à un embellissement de nos réalités, à une crainte du vieillissement prématuré, il n’est pas étonnant, que même ces « petites tonnelles remplies d’informations » y passent aussi, sous le bistouri. Au risque d’un jour vivre tous dans des villes « Walt Disney » qui auront perdu ce qui les caractérisaient jadis, c’est peut-être vers ça finalement que tend la mondialisation. Peut-être que nous devons accepter de voir notre patrimoine disparaître petit à petit au profit de l’innovation et de l’esthétique aseptisée de nos trottoirs. Peut-être que nous devons nous habituer à voir disparaître toute forme de précarité de centre-ville. Finalement, ils sont probablement voués à ça, à devenir des vitrines bourgeoises donnant l’image d’une société saine et innovante, une société où l’ancienneté donne obligatoirement place au renouveau.
Après tout, peut-être ne faut-il pas être totalement contre la rénovation de tous ces kiosques. D’ailleurs, il ne faut certainement pas l’être. Il faut tout de même se rappeler que l’on achète bien souvent « notre papier glacé » dans des lieux que l’on pense du siècle dernier alors que finalement, ils datent pour la plupart des années 80. Le changement même nous a toujours fait peur, ça n’est plus à démontrer. C’est souvent lorsque les choses nous échappent que nous commençons à nous en inquiéter. Ces kiosques qui pullulent encore sur nos trottoirs aujourd’hui, qui y faisait attention avant que l’on nous dise qu’ils étaient trop vieux pour rester parmi nous ? Sont-ils véritablement un patrimoine à sauvegarder ? Ne doivent-ils pas aujourd’hui laisser la place à une jeunesse moins abimée, plus performante ? A une autre époque, la dame de fer, la pyramide du Louvre ou encore les colonnes de Buren avaient, eux aussi, créé la polémique avec leur architecture surprenante. Qui oserait maintenant les remettre en cause ? Alors qui sait, peut-être que dans 100 ans, des foules se soulèveront pour ne pas voir disparaître ces nouveaux kiosques au dessin plus contemporain contre lesquels nous nous battons avec acharnement. Peut-être que finalement dans 100 ans, le lifting aura été probant.