Hervé Sauvage ou l'oeil providentiel talentueux
CULTURE
Sophie Faucillion
— 5 min. de lecture
@Aurelien Mole - Galerie joyce, 168 galerie de Valois, Paris Ier, 01 40 15 03 72 - www.joyce.com/art
Set-designer, scénographe, dépoussiéreur de vieilles reliques, Hervé Sauvage nous offre sur plateau un univers au goût de l’air du temps, du bruit de la rue, du son de sa sensibilité.
Lundi 11 septembre, je grogne, je peste, un virus a investi tout ou partie de mon corps. Pourtant arrivée au frémissant boulevard de « Sébasto », je compte bien fantasmer le synopsis de ma journée. J’ai rendez-vous avec Hervé Sauvage, le fameux set- designer, l’unanimement reconnu comme sauvagement stimulant. Son café d’adoption : le Central, sorte de soubassement de son antre est aujourd’hui mission impossible, son voisin le géant Mc Do, en travaux, se pilonne la façade. Le Plomb du Cantal nous offre alors une touche de tranquillité, rehaussée de klaxons et sirènes, et de je ne sais quoi d’autre. Ma première question : « Tes débuts ? ». Il sourit et prend les commandes, comme Kathy Hepburn l’aurait fait pour Howard Hughes (conservons le non genre !) et commence à me raconter son aventure. « Tout a été très vite pour moi, je suis arrivé à Paris de ma lointaine Picardie pour suivre des études d’Histoire de l’Art à Paris X, Paris-Nanterre » (Daniel Cohn-Bendit avait depuis longtemps cessé d’assiéger les amphis, mais un vent communautaire y était toujours perceptible).
« JE JUBILAIS JE VOULAIS TOUT VOIR, TOUT DECOUVRIR ET TOUT CONNAITRE. J’ALLAIS QUATRE FOIS PAR SEMAINE AU CINEMA, JE COURAIS LES GALERIES ET LES MUSEES. BREF JE COMPENSAIS TOUTES LES ANNEES PASSEES LOIN DE TOUT »
« Diplôme en main, je rencontre une femme créant les vitrines de Nina Ricci et m’engage séance tenante à l’assister sous la houlette du fameux Christian Astuguevielle. J’avais alors 22 ans. J’y suis resté 5 ans pour ensuite m’envoler chez Balenciaga, pour qui j’imaginais les décors des premiers défilés et ceux des vitrines de l’unique boutique, 10, avenue Georges V à Paris. De fil en aiguille, (dans ce milieu c’est souvent le cas !) on m’a proposé de réaliser des ambiances pour un photographe. Je n’avais jamais fait cela de ma vie, mais je me suis dit que ce n’était pas si loin de ce que je faisais. J’ai fait quinze pages dans Vogue avec Satoshi. »
« A PARTIR DE LA, JE N’AI JAMAIS CESSE DE TRAVAILLER. C’EST UN METIER QUE J’AI APPRIS EN LE FAISANT »
Hervé Sauvage prend une pause, indique à une passante la direction de République, s’offre une gorgée de café et continue : « Et à partir de là je me suis retrouvé à faire des plateaux toutes les semaines, je n’avais pas d’agent, aucune idée de l’argent que l’on pouvait gagner ou demander. Certains d’entre eux ont bien sûr commencé à me solliciter. Destin intuitivement chanceux, mon choix s’est fixé sur Clarice Canteloube, mon premier agent, à qui je dois beaucoup. Elle a vivement contribué à ma carrière. » Et tout à continuer à filer et à s’étoffer : Balenciaga, Castelbajac, Christian Lacroix, de multiples showroom et scénographies, notamment pour Forte Forte et d’autres maisons de couture. « En fait, j’ai plutôt le sentiment d’avoir été choisi que d’avoir choisi. C’était un bon moment, très peu faisaient ce métier. J’étais le petit jeune dans le « set design » (Hervé préfère le terme de « set design » à celui de « décorateur » « Depuis deux ans et demi je travaille effectivement beaucoup pour Hermès, pour l’univers de la maison. J’ai eu la chance de faire, deux ans d’affilés, le pavillon pour la semaine du Design à Milan et, à la fin du mois, je m’envole grâce au luxe de leurs ailes pour leur olympe de Singapour. » Ne serait-il pas en quelque sorte leur messager ? Hervé Sauvage adore être au service des autres. Pourtant, désormais, il a atteint la maturité pour affirmer ses idées, et c’est ce que lui offre la Maison Hermès : elle lui laisse le choix de donner sa vision, de laisser libre court à son intuitivité, son audace et son ironie. Puisant son inspiration essentiellement dans la rue (la rue n’est-elle pas l’air du temps ?), il travaille au coude à coude avec Jean Christophe Vaillant. Il est son iconographe, son conceptualiste, son cadreur, son second oeil, (autant dire le magnifique précepteur d’un enfant surdoué).
« SI HERMES M’APPELLE POUR L’UNIVERS MAISON, C’EST PEUT ETRE POUR DEBOURGEOISER CE COSMOS, POUR UN PEU D’INSOLENCE, POUR CHAHUTER L’IMAGE »
Pour le mois de décembre il prépare en collaboration avec « Petit H » et Pascale Mussarde, un enchantement ensorcelant. Mais chut n’en disons pas trop ! Je tente d’aiguiser ma voix : « Et ton projet avec la galerie Emmaüs et Joyce ?» « Le projet Emmaüs/Galerie Joyce, c’est encore autre chose, encore une joyeuse et pertinente providence. Emmaüs a fait appel à Nathalie Croquet suite au succès de ses « Spoof ». Chahutant plutôt l’univers de la mode que celui du design, elle m’appelle à la rescousse. La demande : refaire un appart’ à la Galerie Joyce, pendant la semaine du Design. Un projet audacieux, polémique, politique même ! Nous devions redonner leur blason, leur splendeur et leur valeur à des objets oubliés au fin fond d’un hangar pour un événement, centrifuge du luxe.» Ils ont ensemble chiné, à Paris et à 200 km alentours, pour trouver les perles pouvant devenir rares : « C’était chouette, j’aime le regard affuté, perspicace et humoristique de Nathalie ». Verdict de cette opération : un véritable succès ! A tel point que l’immense groupe Joyce leur a demandé de réitérer ce « dépoussiérage » à Hong-Kong.
IL AIME L’IDEE QU’UN OBJET SE TRANSFORME, ET QU’EN MEME TEMPS, EVOLUE SA VALEUR MARCHANDE
Et pour cela, il suffit d’un coup de baguette sauvagement magique ! Mais ne vous méprenez pas, Hervé sauvage n’est absolument pas ébloui par l’esbroufe. Il aime le réalisme cinématographique (Dumont, Despleschin), la simplicité extrême de la danse contemporaine (notamment la chorégraphie de Cherkaoui), l’art « dérisoirement » minimaliste « (les Surréalistes, Dada), le communautarisme. Bref, il aime l’instantanéité et le bruit de la rue, de la vie. Et, pour plagier volontairement Breton, je murmurerais d’une voix rauque : « Hervé ? Hervé ?... Tu réanimeras un meuble pour moi. Je t’assure. […] De nous il faut que quelque chose reste… ».