Comment les marques de luxe françaises se sont transformées pour rester dans la course ?
MODE
Marie Zawalich
— 8 min. de lecture
Balenciaga, Louis Vuitton
Hermès, Louis Vuitton, Longchamp sont autant de grands noms de la mode française qui sont intrinsèquement liés au patrimoine car célébrés à travers le monde pour leur savoir-faire unique. Ces maisons anciennes, fleurons d’une certaine « élégance » transgressent leurs codes originels, plutôt élitistes, afin de s’attirer les bonnes grâces d’une nouvelle clientèle plus jeune et s’adaptent en même temps à des courants plus inclusifs et éthiques.
UN PATRIMOINE FRANÇAIS RACE
Bien que le monde ait les yeux rivés sur le mouvement des gilets jaunes ces temps-ci et sur la dégradation des vitrines des grandes maisons de luxe situées sur l’avenue des Champs-Elysées, l’hexagone n’a rien perdu de sa réputation prestigieuse et s’accroche férocement à son étendard de pays du luxe. La France excelle dans différents domaines, que ce soit dans la parfumerie, la gastronomie ou la mode. Les plus hautes sphères de la confection française ont encore de belles années devant elles et des enseignes telles que Hermès, Dior ou Louis Vuitton jouissent toujours d’une réputation incandescente hors des frontières grâce à leur héritage singulier, leur aura intemporelle, leurs produits précieux, leur marketing léché et leur évolution. La maison Hermès a même enregistré une croissance des ventes de 11% (à taux de change constants) fin septembre 2018, et cela, dans toutes les zones géographiques du monde selon un rapport accessible sur leur site. Son gérant Axel Dumas déclare même « Hermès a réalisé une croissance très solide sur les neuf premiers mois de l’année, dans toutes les régions. Forts de notre histoire et de nos succès, nous sommes optimistes pour l’avenir ».
Si pendant longtemps ces protagonistes sont restés cantonnés à l’univers codifié du luxe (sans jamais s’amouracher de trop de fioritures et d’excès), ils bousculent leurs règles en se dirigeant vers de nouveaux horizons jamais vus auparavant. Aujourd’hui, les maisons plutôt classiques muent, surprennent et transgressent leurs codes d’antan pour le bonheur des jeunes générations, et cela, sans renier leur amour de l’artisanat et des belles matières.
S’ADAPTER POUR MIEUX REGNER
Même si les manufactures de mode françaises jouissent d’une belle réputation chez les jeunes et chez les grands, elles se transforment (à l’image de la société) en sortant de leur zone de confort. Les marques multiplient les collaborations surprenantes et engagent de nouveaux DA, afin de rester dans la course de ce qui est considéré comme « cool » et s’adaptent ainsi, à des nouvelles cibles assoiffées de transgression. Comment expliquer ces changements des maisons de luxe ? Frédéric Godart, sociologue de la mode, cite une évolution de fond dans les modes de consommations et les styles qui sont favorisés par les nouvelles générations : « Cette évolution touche toutes les classes sociales. De ce point de vue, les marques les plus prestigieuses doivent aussi s’adapter afin de ne pas devenir obsolètes. Cette adaptation n’est possible qu’à travers des collaborations ou l’acquisition de talents provenant de ces générations (tel que Demna Gvasalia chez Balenciaga) car les maisons n’ont pas dans leur histoire ou leurs archives, les références nécessaires ».
Le monde change et les consommateurs d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’hier. Les moins de 35 ans ont envahi les réseaux sociaux et Instagram s’est transformé en une nouvelle plateforme commerciale. En l’espace de quelques années, les millénnials sont devenus les acheteurs chouchous du luxe mondial et représenteront 50% des consommateurs du marché en 2024 selon une étude du Boston Consulting Group sortie en 2018. Exit la conformité, cette génération, plus libre que ses aïeux, est à la recherche de singularité et d’originalité et fait les yeux doux aux marques à grands coups de posts Insta. Impossible pour ces grands noms de passer à côté, surtout lorsque la concurrence n’a jamais été aussi rude qu’avec l’arrivée de nouveaux labels émergents tels que Vêtements ou Off-White, nés avec les réseaux sociaux. Aujourd’hui, le virtuel est nécessaire et les grandes enseignes gèrent leurs réseaux 2.0 presque aussi soigneusement que leurs collections. Leurs créations se retrouvent sur les jeunes influenceurs les plus suivis du monde dont Kylie Jenner, Nabilla Benattia, Luka Sabbat ou Lil Miquela, l’influenceuse virtuelle, qui est suivie par près de 1,5 million de personnes. Ces mêmes figures publiques squattent les catwalks des labels français et leurs campagnes de publicité : Kaia Gerber et Adwoa Aboah défilent pour Chanel pour le défilé printemps-été 2019 et Bella Hadid pose pour Dior Make-up. D’ailleurs, la notion d’inclusivité, si chère à la jeune génération, n’a jamais été aussi forte sur les podiums parisiens. Pour son défilé printemps-été 2019, Balenciaga proposait un casting diversifié, composé de modèles aux âges, aux sexes et aux couleurs variés. Un geste culotté et saluable car plus souvent visible chez les jeunes créateurs se singularisant tels que les labels américains inclusifs Gypsy Sport et Vaquera nyc.
S’adapter aux goûts de la jeunesse est un adage que le luxe a bien assimilé. Ainsi, Dior Homme et Kris Van Assche proposaient l’année dernière une collaboration exclusive avec la marque de BMX, Bogarde et Hermès invitait des skateurs français dont Valentin Bauer dans sa boutique de Sèvres-Babylone pour une session skate avec Petit h, « La marque Petit h développait une collection d’accessoires qui détournait certains éléments du skate. Ils ont donc décidé de nous faire exploiter le magasin pour animer la vitrine avec un film. Pour ce qui est du skate en lui-même, nous avions carte blanche. Nous avons pu exploiter tout ce qu’on voulait dans le magasin qui est monumental. » Le luxe se met aux sports alternatifs pratiqués dans la rue et propose même ses équipements à la vente. Ainsi, vous pouvez maintenant vous déplacer dans « la jungle urbaine » d’Hermès avec une planche de longboard au prix de 5050$. Des changements qui s’opèrent jusqu’au choix des créatifs, ainsi, Louis Vuitton annonçait en 2018 l’arrivée du styliste américain Virgil Abloh, premier directeur artistique noir de la maison française, à la tête des collections masculines. Proche de Kanye West et fondateur de Off-White en 2013, il est habitué à la culture streetwear et apporte une tornade de fraîcheur dans l’univers parfois très froid du luxe, grâce à un goût prononcé pour les couleurs, le mix des matières et les castings éclectiques. D’ailleurs, quelques années plus tôt, Vuitton collaborait avec Supreme, la plus hype des marques de skate et présentait sacs banane et hoodies estampillés du logo.
D’un point de vue stylistique, les maisons n’ont plus peur de sortir du rang et Louis Vuitton surfe sans peur sur la vague esthétique du « laid » grâce à sa version de la « dad shoe » intitulée « Archlight ». Incontournables depuis quelques saisons et déjà vues chez Balenciaga avec la Triple S, ces baskets dégoulinantes de nostalgie n’ont pas échappé à l’oeil aiguisé des millennials et forcément, nombreuses sont les marques à s’être réappropriées cette pièce phare, que ce soit dans la grande distribution ou dans le luxe. Les chaussures préférées des moins de 35 ans frôlent les podiums, mettant à mal l’ennuyante recherche d’élégance et du bon goût que l’on connaît des maisons françaises. Les règles changent, ce qui était considéré comme beau avant ne l’est plus aujourd’hui et de plus en plus, les grands noms s’entichent du disgracieux pour faire le nouveau cool. Cette redéfinition de «l’élégance» est encouragée par l’envie des jeunes générations de s’affirmer librement et de s’opposer aux diktats liés à une beauté normée.
Des changements qui s’opèrent déjà depuis longtemps aux premiers rangs des défilés avec l’arrivée des influenceurs et des rappeurs. Qui aurait cru que dans un passé pas si lointain, des rappeurs poseraient pour des grandes maisons ? Au fil des années, le rap est devenu à la mode, laissant de côté sa réputation sulfureuse. Ses protagonistes sont devenus les nouvelles icônes des marques. Ainsi, Asap Rocky a déjà pris la pose pour Dior Homme et Lacoste a récemment collaboré avec le rappeur français Moha la Squale pour customiser des pièces. Une surprise de taille pour un label français qui a souvent refusé l’amour de la rue à son égard. Une idylle qui n’est plus à sens unique depuis que le luxe s’est réconcilié avec le rap qui est l’un des styles musicaux les plus écoutés, favorisant ainsi l’intégration des rappeurs au premier rang des défilés lors des semaines de la mode.
En parlant d’amour, la mode française aurait elle un coeur ? Il faut croire que oui. Au moment où la mode se fait plus consciente, nombreux sont les acteurs à prendre des décisions. Après l’annonce de l’arrêt de l’utilisation de la fourrure pour Gucci et Versace en Italie, le créateur français Jean-Paul Gaultier annonçait la nouvelle l’année dernière. Est-ce que ses confrères français suivront également le mouvement ? Peut-être. En attendant, imaginons à quoi pourrait bien ressembler un sac Birkin en faux cuir. Quant à savoir si ces changements effraient les anciens et fidèles clients, l’expert Fréderic Godart répond : « Ces changements peuvent en effet être risqués car une certaine clientèle plus traditionnelle peut se sentir désorientée. Cependant, ces évolutions sont souvent suivies par les clientèles concernées qui ont accès aux styles des nouvelles générations, à la manière d’une forme de fontaine de jouvence peut-être, une façon d’avoir l’air jeune et au goût du jour tout en conservant les mêmes marques ».