Chanel et ses Petites Mains qui valent de l’or

CULTURE

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Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.
Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.

Si de nombreuses griffes ont cédé à la tentation de la délocalisation, certaines grandes maisons de luxe ont fait le choix ab initio de préserver les savoir-faire des artisans d’art dans l’hexagone. Chanel, toujours une longueur d’avance…

Les petites mains font les grandes oeuvres, c’est le leitmotiv de la maison Chanel qui prône et cultive depuis sa création le «made in France». 2020 sera une date majeure dans l’histoire de la marque, qui va rassembler dans un même espace à la Porte d’Aubervilliers, la maestria de tous ces métiers d’art. Aux origines de la beauté, derrière les broderies, les parures et les plissés, se cachent des hommes et des femmes de passion qui contribuent à faire de l’authenticité française, une qualité inestimable. Entreprises et manufactures rejoindront un lieu d’excellence de 9 000 m2 de terrain et de 25 500 m2 d’espaces de créations, répartis sur cinq étages et deux sous-sols. Un écrin tout en béton et en verticalité, conçu comme un tissage de filaments évoquant la confection d’une étoffe, imaginé par l’architecte Rudy Ricciotti. À l’heure de la mondialisation et de la numérisation des systèmes de production, Chanel reste pionnière dans la préservation de ses ateliers, attachée à leurs racines séculaires, qui font office de sésame à l’export, tout en participant au rayonnement de la mode et du luxe français à travers le monde.

MADE IN FRANCE, EN AVANT TOUTE

Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.
Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.

Entre Gabrielle Chanel et les métiers d’art, c’est une longue, grande et solide histoire d’amour. Parmi ses fleurons, à l’origine de certaines pièces les plus iconiques, on compte le bottier Massaro (les souliers bicolores), l’orfèvre Goossens (les bijoux baroques) ou encore le plumassier Lemarié (les fameux camélias devenus emblèmes). La Maison de la rue Cambon a démarré sa stratégie de rachat en 1985, sous l’égide de sa filiale Paraffection, pour préserver et assurer un avenir à ces métiers menacés de disparition. Les ateliers précités ainsi que Desrues (parurier), Michel (chapelier), Lesage (brodeur), Lognon (plisseur), Guillet (parurier floral), Montex (brodeur), Causse (gantier), l’Écossais Barrie Knitwear (spécialiste du cachemire) ont ainsi été rachetés au fil des années. Derniers représentants du patrimoine culturel. S’ils conservent leur indépendance, avec la possibilité de travailler pour d’autres enseignes, tous occupent une place particulière au sein de cette valeur forte qu’est le «Made in France», au service de l’attractivité parisienne et touristique. Chanel, qui fait toujours figure d’avant-garde, l’a rapidement compris, sans jamais céder aux sirènes de la délocalisation pour des avantages compétitifs et une main-d’oeuvre peu coûteuse. C’est ainsi qu’elle décide, en 2002, de créer un défilé consacré à ces travailleurs hors pair pour les mettre à l’honneur. La vision révolutionnaire ravit la fashion sphère. Sur le front row, professionnels et stars abondent. Cette démarche empirique, on la doit à Karl Lagerfeld pour redynamiser et réenchanter ces métiers de l’ombre, sous les feux des projecteurs, au cœur même des podiums. Pour le Kaizer, il s’agit d’une sixième collection après celles haute couture et prêt-à-porter auxquelles s’ajoutent désormais les collections capsules Coco Neige et Coco Beach.

DES SHOWS A L’AUNE DE LA PERFORMANCE ARTISTIQUE

Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.
Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.

Depuis seize ans, chaque mois de décembre, les petites mains coordonnent ainsi leur savoir-faire sur les catwalks des plus grandes villes du monde afin « d’enrichir un creuset créatif, en effervescence permanente ». Si Chanel dévoile sa première collection dans le décor des salons de couture de la rue Cambon, Lagerfeld voit plus loin et décide deux ans plus tard, d’associer ce défilé à des métropoles emblématiques, liées à l’histoire de Chanel et à celle de sa créatrice. Tokyo, New York, Monte-Carlo, Londres, Shanghai, Byzance ou encore Salzburg font ainsi briller l’élégance française dans des décors somptueux qui confinent à la performance artistique. En 2013, le couturier allemand revient sur les traces du séjour de Gabrielle à Dallas où elle fut récompensée d’un Neiman Marcus Award, «l’Oscar de la Mode». En 2015, cap à Rome dans le studio N°5 à la Cinecittà, le favori de Federico Fellini, qui fait bien sûr écho à l’un des plus mythiques parfums de Chanel. En 2016, le show se déroule à Paris, précisément à l’Hôtel Ritz dans lequel elle a vécu et qui dispose aujourd’hui d’une suite à son nom. Pour 2018, la griffe fait le choix pharaonique de fouler le sol du temple de Dendour du Metropolitan Museum of Art (MET) à New York pour dévoiler la nouvelle collection sous le thème de l’Égypte antique. L’or, si cher à Coco, était partout, agrémenté d’une touche street art et art déco. Les modèles ont ainsi emboîté le pas avec « des robes, des tailleurs et des manteaux qui se portent au genou, des hanches soulignées de larges ceintures, des épaules accentuées avec des collerettes plastrons, des brassées de sequins cousus un à un sur une robe blanche, des broderies de fleurs de lotus assemblées à même la jupe (…). Et un ultime clin d’œil de Karl Lagerfeld à cette civilisation, le scarabée, (…) se faisant colliers, boutons, boucles de ceintures, boucles d’oreilles ou minaudières. Un symbole cyclique du soleil qui renaît tous les jours, l’union du passé, du présent et du futur ».

L’INNOVATION PAR LES TECHNOLOGIES

Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.
Le 19M, lieu de la mode du Nord-Est de Paris. Ce projet porté par Chanel réunit des maisons de couture dans un bâtiment exceptionnel à Porte d'Aubervilliers dans le 19ème arrondissement de Paris.

Chaque pièce confectionnée a une valeur liée au temps, à la minutie, à la délicatesse, à l’authenticité, à l’émotion. Art appliqué par excellence pour un savoir-faire poussé à l’extrême. Car ces artisans ne connaissent pas le répit, (ré)interprétant à l’envie les visions du designer. Les créations nécessitent des centaines voire des milliers d’heures de travail pour une seule et même pièce (la robe de plumes aux effets géométriques présentée au défilé du MET a nécessité 1500 heures de travail). Le détail est méticuleux, soigné, rigoureux ; rien n’est jamais laissé au hasard. Leur mise en oeuvre est d’autant plus monumentale à l’ère du tout numérique et des productions effrénées. Entre travail à la main, richesse des matériaux et procédés technologiques, ces métiers d’art font ainsi place à cette nouvelle génération capable de s’adapter à l’air du temps et d’interagir avec les innovations, comme en a témoigné Chanel, toujours à la pointe de l’avant-garde, avec son tailleur emblématique en impression 3D. Mais si les pratiques évoluent, le processus artisanal reste le même. Il s’agit d’un travail de fourmis qui nécessite une véritable patience, une connaissance pointue des matières, une maîtrise du geste et des techniques et bien sûr une audace folle pour concevoir des pièces uniques ou en éditions limitées. Les nouvelles technologies alliées à ces savoir-faire contribuent ainsi à leur évolution, à l’instar de la découpe au laser qui offre des nouvelles perspectives de précision pour des paruriers tels que Desrues, dont le travail consiste à dorer, polir, émailler, sculpter des bijoux et boutons précieux.

PERENNISATION ET TRANSMISSION DES TECHNIQUES

Encore aujourd’hui, Chanel reste la seule Maison à consacrer une collection à ces savoir-faire, véritable quintessence du luxe français. Exit donc la délocalisation massive de ces ateliers qui auraient pu entraîner leur disparition programmée. À l’heure où elle a enfin décidé de stopper l’usage de la fourrure et des peaux d’animaux exotiques, comme le crocodile, le serpent, le lézard ou le python, pour une meilleure cohérence et traçabilité, cette implantation architecturale spectaculaire, dans un quartier en pleine mutation, révolutionne le bon sens et renoue avec ses valeurs intrinsèques. Ces ateliers d’excellence, parvenus à traverser les époques et les crises de la société, constituent un enjeu stratégique. Le rassemblement de toutes ces signatures va entraîner de nouvelles collaborations exclusives, initier de nouveaux projets, mais surtout œuvrer à leur pérennisation et à leur transmission au cœur d’une maison née de l’artisanat. Chanel façonne ainsi, avec ses éternels doigts de fées, l’artisanat d’art du XXIe siècle où petites mains et techniques de pointe vont faire évoluer les perspectives dans un écosystème riche pour faire naître de nouvelles vocations et libérer la créativité.

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